samedi 28 février 2009

175- Echec et Pat - Laurent Hyafil

Echec et Pat

Quand il me dit :
« approchez-vous, je vais vous apprendre à jouer aux échecs »,
je restai interloqué. Je m’étais arrêté à sa hauteur par curiosité car cela faisait plusieurs semaines que je le voyais, s’asseyant tous les jours vers midi sur un banc vert, sous les grands marronniers qui couvraient la partie du square qui longeait la place Thiers. Cela faisait des années que je tournais autour des pelouses du square Thiers, la grande ou la petite, car depuis des années nous allions au square matin et soir à la sortie de l’école. Des années qu’il ne s’était pas passé grand chose dans une espèce de monotonie routinière.
L’entrée principale du square se situait place Saint-Pierre derrière la statue équestre de Jeanne d’Arc qui se trouve face à l’église. L’entrée était scindée en deux, deux portes métalliques avec des croisillons qui se refermaient automatiquement. Les deux portes étaient situées de part et d’autre de la statue de Paul Déroulède, chantre du nationalisme, qui, le bras levé, la tête couverte de fiente de pigeons donnait l’impression de haranguer le postérieur du cheval de Jeanne d’Arc. L’endroit était un lieu de rendez-vous prisé des nationalistes.
La grande pelouse était en face de l’entrée, la petite, juste dans l’alignement séparée par une allée. Au fond, on apercevait la guérite verte du gardien avec la cheminée de son poêle à bois. A gauche, le bac à sable ceint de bancs en bois peints en vert et à droite, de l’autre côté de la rue Victor Hugo, la caserne de marins dont les fenêtres ouvertes laissaient entrevoir de jeunes mousses avec leurs tenues blanc et bleu et leur béret à pompon. Une grande allée, bordée de bancs, entourait les deux pelouses et conduisait à l’entrée secondaire rue de Paris.
Comme un rituel éternel, tous les jours, midi et soir, nos mères venaient s’asseoir autour du bac à sable et restaient là à bavarder entre une demie et une heure. Pendant ce temps, nous jouions et courions autour des pelouses, dans la grande allée. Nous observions avec la plus grande attention tous les passants de ce square, qu’ils soient habitués, comme les clochards ou les employés des entreprises voisines qui venaient déjeuner d’un sandwich, ou bien occasionnels comme les amoureux. Nous estimions que ce square nous appartenait et que tous ces visiteurs venaient en quelque sorte chez nous. Ils occupaient notre territoire.Nous craignions beaucoup le gardien qui était redoutable avec son sifflet strident qu’il actionnait à la moindre incartade. Malgré cela, l’été, lorsqu’il faisait très chaud, nous nous risquions en courant sous l’arrosage de la grande pelouse pour nous rafraîchir un peu.
Quand il me dit :
« approchez-vous, je vais vous apprendre à jouer aux échecs »,
sa proposition ne me laissa pas insensible. Il sortit un minuscule jeu d’échecs en plastique avec un couvercle transparent qu’il gardait dans la poche de sa veste. Chaque case était dotée d’un petit trou dans lequel on pouvait insérer un appendice qui dépassait de chaque pièce.
Il commença par m’enseigner le mouvement des pièces.Je ne pouvais pas rester trop longtemps près de lui sinon ma mère se serait inquiétée, aussi, je passais, je jouais et je refaisais un tour avant de rejouer. Et cela se reproduisait tous les jours. Si la partie n’était pas finie, nous la poursuivions le lendemain.Brun aux yeux bleus, il avait l’air plutôt jeune, bien habillé, des lunettes qui ressemblaient à des bésicles, un journal à côté de lui. Quand il me voyait il me souriait, l’air de me dire :
« je suis content de te voir ».
On ne se parlait pas, je ne connaissais pas son prénom, il ne connaissait pas le mien. Entre nous tout se passait par le regard et les gestes. Il m’indiquait ses recommandations en les jouant sur l’échiquier. A mesure du déroulement des parties, j’avais l’impression de progresser, je rêvais déjà du jour où je le battrais. Peut-être était-ce son objectif, fabriquer un champion, le champion qu’il n’avait peut-être pas pu être. Mes dons en calcul, en tous cas m’y prédestinaient. Ma mère m’avait interdit de parler à un inconnu, elle m’avait cité de nombreux cas d’enfants qui avaient été enlevés à la suite de rencontres fortuites. Cela avait engendré une grande angoisse, mais c’était plus fort que moi, je ne croyais pas que mon professeur d’échec fut dangereux. Je devais seulement garder secret mon commerce avec lui. J’étais donc obligé de me dissocier de mes amis, d’apparaître de plus en plus solitaire.Une fois, il voulut m’offrir un bonbon, mais je refusai véhémentement, j’avais entendu parler des messieurs qui offrent des sucreries aux enfants, et cela augmenta ma peur, mais je continuais quand même.
Un jour, en rentrant du square, ma mère m’interrogea :
« Tu ne joues plus avec tes amis, tu es fâché avec eux ? ».
Je répondis d’un grognement incompréhensible. Mais j’étais averti, il fallait redoubler ma vigilance.Nos parties d’échec avaient progressivement créé un lien d’attachement entre nous. Par moments, j’avais même l’impression qu’il me prenait pour son fils, un fils dont il ne parlerait jamais.
Dès que j’arrivais dans le square, je faisais le tour pour voir s’il était arrivé et j’étais déçu quand il tardait. Mais il venait toujours, comme s’il ne pouvait se passer de moi. Quand il me voyait son visage paraissait s’illuminer. Les jours de congé, il me manquait. Je rêvais qu’il sonne à la porte pour venir me voir. Mais il ne venait jamais.
Je compris petit à petit qu’il me manquait plus que les parties d’échec, que ce que je voulais, c’était le voir, même sans jouer. Le mystère attaché à sa personne me fascinait. Je le connaissais sans le connaître, je l’aimais sans même savoir qui il était. Et puis je ne savais pas s’il m’avait choisi par hasard ou si une raison particulière que je ne connaissais pas, une raison sans doute inavouable, l’avait guidé vers moi.
J’étais concentré sur un coup difficile car je voulais éviter la situation de pat, cette position dans laquelle quelque soit le mouvement du roi adverse il se met en échec, je devais réfléchir depuis plusieurs minutes quand j’entendis la voix de ma mère :
« Monsieur, que faites vous avec mon fils ? »
« Madame, je ne lui fais aucun mal. Il y a quelque mois, passant dans ce square j’ai cru apercevoir au loin mon petit garçon que sa mère a enlevé il y a deux ans et que je n’ai jamais revu. Toutes mes tentatives pour le retrouver se sont soldées par des échecs. Tous les jours j’emprunte quelques minutes de votre fils pour atténuer mon chagrin. »
Laurent Hyafil
Autorisation de l'auteur. Retrouvez ses autres nouvelles et ses idées sur son blog http://laurenthyafil.blog.lemonde.fr/echec-et-pat/

174- Après quoi court donc Lelièvre ?- Paul Dehel


Après quoi court donc Lelièvre ? Paul Dehel In Fiction n° 410, nouvelle de 17 pages, 1989.
Editions Opta.
Couverture : Florence Magnin.

Est-ce donc une partie d'échecs qui se joue entre les Limitationnistes et les Elargistes ? Les uns ont eu droit d'être immortels et ne veulent pas permettre ce droit à la population entière, ce que conteste bien évidemment les autres, souvent les plus pauvres... Le héros Lelièvre a obtenu après quelque argent et épreuves à gagner ce droit, mais pour autant adhére, au fil des années qui passent, aux thèses des Elargistes. Et les Limitationnistes ne sont pas contents !- Vous ne comprenez donc pas que c'est un jeu ? Une partie d'échecs. Chacun avance ses pions. L'objectif unique de chaque camp est la destruction totale de l'autre et il n'est pas question de faire du sentiment. Mais une fois la partie terminée, on replace toutes les pièces sur l'échiquier et on recommence. Un jeu. Et vous trahissez votre camp. - Malheureusement, fit Lelièvre d'une voix lasse, ce sont des vrais hommes qui meurent dans votre jeu. Pas des pions. Des gens qu'on ne pourra plus jamais remettre sur l'échiquier...


Les nouvelles de Fiction 410 http://www.librys.fr/ys/collectif/fiction-410-5238

sur l'univers de Florence Magnin : http://www.florence-magnin.net/accueil.htm

samedi 21 février 2009

173- Trilogie New-Yorkaise - Paul Auster


Trilogie New-Yorkaise Cité de verre, Revenants, La chambre dérobée Paul AUSTER

Ed. Actes Sud Babel n°32, 1991
(Paul Auster 1985 et 1986) (City of Glass, Ghosts, The Locked Room)

4ème de couverture :
De toutes les qualités qui ont justifié le succès de la Trilogie new-yorkaise, l'art de la narration est sans doute la plus déterminante. C'est qu'il suffit de s'embarquer dans la première phrase d'un de ces trois romans pour être emporté dans les péripéties de l'action et étourdi jusqu'au vertige par les tribulations des personnages. Très vite pourtant, le thriller prend une allure de quête métaphysique et la ville, illimitée, insaisissable, devient un gigantesque échiquier où Auster dispose ses pions pour mieux nous parler de dépossession.

Des quêtes d'identité et des personnalités perturbées, et un lien entre les trois textes qui sont réunies dans cette trilogie. Paul Auster nous fait voyager à travers New-York et à travers les feuilles d'écritures, la solitude, des détectives qui s'identifient à ceux qu'ils poursuivent...
Monde étrange et à la fois proche d'une vie urbaine.
Page 119, tiens donc référence à Humpty-Dumpty, lui aussi. -Qui ça ? - Humpty Dumpty. Vous savez bien, l'oeuf (...) l'incarnation la plus pure de la condition humaine. Ecoutez avec attention, monsieur. Qu'est-ce qu'un oeuf ? C'est ce qui n'est pas encore né. Un paradoxe, n'est-ce pas ? (...) - Lewis Carroll. - A travers le miroir. Chapitre six ... Dans Revenants, les hommes ont des noms de couleur, Blanc, Bleu, Noir. Bleu est le détective qui épie Noir sur la commande de Blanc. "Spéculer", venant du latin speculari, signifie "observer", "épier", et s'apparente au mot speculum qui veut dire "miroir"... (...) il découvre qu'il s'observe aussi lui-même ...

Et voilà pas de jeu d'échecs plus que cela, mais intéressante littérature ! Où encore des petits passages avec le livre de Lewis Carroll, Alice De l'autre côté du miroir.


Né en 1947, dans le New Jersey, Paul Auster vit à Brooklyn. Poète, traducteur et romancier.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Auster
http://fr.wikipedia.org/wiki/Trilogie_new-yorkaise

Un site pour mieux connaître l'œuvre et de Paul Auster et les pérégrinations de ses héros dans la ville de New-York sur http://austerworld.free.fr/cadres2.htm
Un film documentaire lui est consacré : http://www.film-documentaire.fr/film.php?id=6840 (ARTE)...

Son nouveau livre Seul dans le noir Editions Acte Sud, vient de sortirhttp://www.actes-sud.fr/paul-auster.php

mercredi 18 février 2009

172- Le miroir de Satan - Masterton


Masterton Graham
Le miroir de Satan
Ed. Pocket, Terreur, n° 9049, 1991 (Editions Néo, 1984)
4ème de couverture - Ce ne sont pas tant les miroirs qui devraient réfléchir davantage, que ceux qui s'aventurent de l'autre côté... Martin Williams, un scénariste, fait l'acquisition d'un miroir ayant appartenu à Boofuls, enfant-star d'Hollywood, assassiné en 1939 dans des circonstances aussi tragiques que mystérieuses. Les miroirs, c'est bien connu, peuvent être des portes sur d'autres mondes. Celui-là est porte sur l'enfer, sur un
Hollywood à l'envers où, sous ses dehors de petit garçon angélique, Boofuls va se révéler la plus diabolique des créatures.

Des références à Alice de l'autre côté du miroir, bien entendu, mais un monde plus terrifiant chez Masterton. Et il va plus loin, ajoutant que Lewis Carroll, Charles Lutwidge Dodgson, en sait plus ... lui-même aurait traversé le miroir ... (page 281) ...
alors il écrivit De l'autre côté du miroir sous la forme d'une aventure d'Alice... (...) C'était un avertissement , exprimé dans un langage d'enfant, dans l'espoir que (...) les enfants, eux, prendraient cet avertissement au sérieux. (...)

et petite référence à Humpty-Dumpty page 392.

Enfin une partie d'échecs page 326 :
Marin et Mr Capelli se partagèrent un pack de bière et jouèrent aux échecs pendant une heure environ ... (...) Oh, j'y pense, je viens de prendre votre fou.

Graham Masterton est un écrivain écossais (Edimbourg, 1946) essentiellement connu pour ses romans d'horreur.
http://www.actusf.com/spip/article-2615.html

Ne pas le lire pour le jeu d'échecs ... mais pour les références à Alice ou pour se faire peur !

mercredi 4 février 2009

171- Decque joue son fou !


Itinéraire du fou ... suite ...

BENOIT DECQUE A LE PLAISIR DE VOUS DÉVOILER SON JEU…

Février 2009: Mairie, Strasbourg.

BENOIT DECQUE DÉPLACERA SON FOU
SUR LA DIAGONALE URBAINE

RELIANT LA COUR DE L'ENA AU PARVIS DE LA CUS.

CE DÉPLACEMENT AURA LIEU LE JEUDI 12 FÉVRIER 2009:

Rendez-vous dans la cour de l'ENA à Strasbourg, à partir de 8h30 et sur le parvis de la CUS (place de l'Etoile) à partir de 9h30. Le déplacement du FOU se fera avec … une main de géant.

http://benoitdecque.blogspot.com/

lundi 2 février 2009

170- René La Canne - Roger Borniche




René La Canne

Roger Borniche

Ed. Fayard, 1974

La couverture annonce : <<La fantastique partie d'échecs entre un cerveau du banditisme et un policier plein d'imagination>>, devient quelques pages plus loin :<<La pathétique partie d'échecs ....>>.

Et pour annoncer l'histoire : René La Canne : 30 ans, 1,80m. Nom véritable : René Girier. Ennemi public n°1. Organise avec la minutie d'un horloger les hold-up les plus sensationnels et les évasions les plus spectaculaires. Entre ce cerveau du banditisme et Roger Borniche, policier plein d'imagination que les lecteurs connaissent par son célèbre Flic Story, s'engage une pathétique partie d'échecs. Les pions avancés s'appellent : avocats, témoins, indics, truands, macs, putes. Leur lente progression sur le gigantesque échiquier du Milieu éclaire d'un jour saisissant la longue et tortueuse marche des investigations policières.

Le sommaire est aussi échiquéen ! :
L'enjeu La première manche La deuxième manche La troisième manche <<>> << ... et mat >> Epilogue

Et cependant peu de jeu d'échecs dans le texte. voir page 285 : << ... comme les pions d'un jeu d'échecs.>> Il reste la laborieuse chasse à l'homme et
les guéguerres entre services policiers.

Roger Borniche, http://moreas.blog.lemonde.fr/2007/01/26/la-pj-de-lapres-guerre/
René Girier, http://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Girier

LE FILM : http://www.dvdcritiques.com/critiques/dvd_visu.aspx?dvd=3610 René La Canne, film de Francis Girod (1976) avec Gérard Depardieu, Sylvia Krystell, Michel Picolli